Toutes les crises actuelles ont une seule et même source
L'Artificialité
L’Artificialité désigne, selon nous, l’ensemble des systèmes issus de l’activité humaine qui transforment cumulativement l’environnement et créent un décalage entre les organismes et leur milieu, en empêchant les processus régulateurs du vivant de maintenir un équilibre.
Ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas le résultat de politiciens corrompus, d’entreprises cupides, d’idéologies défaillantes ou de « mauvais choix ». Il ne s’agit ni de libéralisme contre socialisme, ni de démocratie contre autoritarisme, ni de progressisme contre conservatisme. Ces alternatives illusoires ne sont que des manifestations, des symptômes d’un processus plus profond, débuté à l’aube de l’histoire humaine, au moment où notre espèce a été déterminée à transformer l’environnement de manière inédite.
La domestication du feu constitua la première divergence. Ni une erreur, ni la faute de nos ancêtres. Le feu conduisit à la cuisson. La cuisson rendit possible l’agriculture. L’agriculture rendit possible l’émergence des premiers États et des civilisations… Chaque artifice entraîna nécessairement les suivants. Nulle décision individuelle ou volonté collective n’aurait pu modifier cette trajectoire*.
Les extinctions massives, la mort des sols, l’empoisonnement des eaux, les épidémies de maladies chroniques, les États de surveillance, la mondialisation et la désintégration sociale ne sont pas des accidents. Ces phénomènes sont les résultats inévitables d’une organisation de la vie humaine fondée sur des systèmes artificiels structurellement incapables de répondre à nos besoins fondamentaux*.
En tant qu’espèce, nous avons co-évolué pendant des centaines de milliers d’années en relation étroite avec notre environnement. Nos sens, nos perceptions, nos besoins, notre rapport au monde se sont formés à partir de modes de vie chasseurs-cueilleurs longuement éprouvés. L’humain s’est progressivement éloigné des conditions qui l’avaient vu naître. Vivant désormais dans un environnement incompatible avec notre programmation biologique*, nous avons plongé dans un cycle de frustration et de compensation sans fin, cycle que l’humain s’efforça tant bien que mal de maintenir par l’élaboration de systèmes artificiels toujours plus complexes.
Par conséquent, la civilisation, dans sa trajectoire, s’est construite autour d’un récit : celui de la perfectibilité humaine. En poursuivant ce récit, loin d’accomplir l’humain, elle le nie. En naturalisant les pathologies qu’elle génère, la civilisation fait porter sur les individus la responsabilité de leur « défaillance » plutôt que de reconnaître l’inadéquation structurelle de l’environnement artificialisé avec les besoins fondamentaux humains.
Le Bien et le Mal absolus n’existent pas : ce sont des constructions sociales émergentes, non des forces surnaturelles. Les morales qui s’imposent ne sont jamais les plus justes, mais celles qui sont utiles au maintien de systèmes sociaux dysfonctionnels. De telle sorte que les religions et autres idéologies constituent des réponses culturelles aux malaises existentiels provoqués par la domestication humaine.
Ayant perdu sa place au sein du monde sauvage, l’être humain crée des arrière-mondes imaginaires pour remédier à la vacuité de son existence. Il développe une inflation pathologique de sa vie intérieure, se faisant « sujet » et s’inventant une responsabilité totale face à son destin. Les religions servent ainsi autant de compensation à ce malaise que d’outils de contrôle social. L’être humain commence à s’auto-imposer des règles de conduite utiles au contrôle et à la poursuite des sociétés complexes, auxquelles il a petit à petit remis toute son autonomie.
Le problème n’est pas la nature humaine. Le problème est le contexte dans lequel nos instincts, initialement salutaires, produisent des résultats pathologiques. Dans la nature sauvage, les besoins complexes de chaque organisme sont dictés par leur histoire évolutive. Ainsi, les politiciens corrompus, les exploiteurs tout comme les bien-pensants ne font finalement qu’obéir aux mêmes programmations évolutives, de différentes manières : défendre leurs intérêts et ceux de leurs clans. Selon notre analyse, le capitalisme est une expression pathologique de l’instinct de préservation, tout comme le socialisme l’est de l’instinct de coopération, nécessaire à la cohésion sociale et à la survie. Leurs comportements n’ont pas à être jugés moralement, car ils sont l’expression de processus naturels aveugles où chaque être humain agit selon des déterminismes biologiques et environnementaux, ses déterminismes propres.
Dans les environnements non artificialisés, les instincts humains n’étaient ni bons ni mauvais en eux-mêmes : ils étaient régulés par les liens tribaux, la réciprocité immédiate et les contraintes matérielles directes. Aujourd’hui, dans les systèmes artificiels, ces mêmes instincts sont à la fois trop sollicités et mal orientés, ou au contraire étouffés et détournés. L’instinct ne peut pas être « régulé » en tant que tel : c’est sa forme d’expression qui est modifiée par l’environnement.
Dans les environnements non artificialisés, nos ancêtres mobilisaient leurs instincts pour s’orienter dans le monde, pour le pire comme pour le meilleur. Ces instincts étaient contenus par les limites de l’écosystème, les équilibres du vivant et la vitalité des liens communautaires. Au fil du temps, la raison a pris davantage de place. Les mécanismes régulateurs spontanés se sont effacés, et la raison a pris le relais. Aujourd’hui, la raison se retourne sur elle-même et doit se fixer sa propre limite. C’est l’évolution dialectique du rôle de la raison : nous ne pouvons plus faire sans elle, mais la raison peut – et doit – remettre l’instinct à sa juste place.
Contrairement à nous, nos ancêtres ne pouvaient pas savoir où menait la voie dans laquelle ils s’engageaient. Mais nous, nous le percevons. Nous sommes la première génération à entrevoir clairement où elle nous mène. L’Artificialité elle-même, en se déployant, a créé les conditions de sa propre compréhension : accumulation des savoirs à l’échelle planétaire, circulation inédite des connaissances, expérience vécue et recul historique suffisants pour percevoir la trajectoire dans son ensemble. Le Féralisme incarne cette lucidité née de la traversée même de l’artificialité.
De nos jours, l’Artificialité prend une forme décisive à travers l’expansion du système technologique. Face aux pathologies qu’elle génère, deux voies se dessinent : l’effondrement ou l’adaptation technique de l’humain à l’environnement artificialisé, c’est-à-dire le remplacement progressif du biologique par le technologique. Bien qu’un effondrement soit possible, le projet transhumaniste pourrait constituer l’aboutissement logique de cette trajectoire, si elle se poursuit.
Le système technologique tend à devenir sa propre fin, le biologique n’étant plus – et n’ayant jamais été, dans cette logique – qu’une contrainte à dépasser, c’est-à-dire le dépassement des limites biologiques par l’usage de la science. La transformation nécessaire et définitive de l’être humain afin de l’adapter au système artificiel constituerait l’horizon ultime du processus de domestication humaine. Mais dans ce futur probable, que resterait-il de notre humanité et de notre liberté ?
Notre objectif
Notre objectif final est la sortie de l’artificialité. Cependant, nous avons conscience qu’il est impossible d’agir sans utiliser certains outils de ce que nous cherchons à dépasser. Par conséquent, notre mouvement agit simultanément sur les plans politique, culturel et économique dans une perspective réaliste.
Nos actions visent à :
- Préparer les consciences
- Connecter les personnes partageant cette compréhension
- Donner les moyens de l’autonomie matérielle
- Retrouver les savoirs perdus
- Construire l’infrastructure qui répond aux besoins humains fondamentaux
La Réponse Férale
La compréhension de la trajectoire détermine l’orientation vers le réensauvagement — non pas un retour en arrière, mais une mutation consciente*.
Ce que signifie « féral »
Féral qualifie un organisme autrefois domestiqué qui est retourné à l’état sauvage. Non pas un état primitif originel fantasmé, mais la condition d’avoir traversé la domestication et d’en être ressorti transformé.
Nous ne pouvons ignorer les leçons de notre histoire ni la changer. Mais une fois que nous en avons pris conscience, la reconnexion avec les régulations du vivant devient une orientation déterminée par cette lucidité.
Le Féralisme incarne cette voie dans le monde actuel. Ce n’est ni un fantasme primitiviste ni une fuite en avant technologique. Il s’agit d’une transformation consciente, éclairée par l’expérience vécue sous l’emprise des systèmes artificiels, qui replace les besoins biologiques et la réalité matérielle au cœur de notre compréhension.
Diagnostic partagé, voies divergentes
Plusieurs mouvements reconnaissent la crise. Chacun propose une voie différente pour y faire face.
Transhumanisme
- Diagnostic : l’humanité souffre, piégée et limitée dans sa condition biologique.
- Approche : transcender la biologie par la technologie.
- Différence : conçoit l’humanité comme inachevée ; prône davantage d’artificialité.
Réformisme
- Diagnostic : les systèmes actuels sont dysfonctionnels.
- Approche : modifier les lois, les politiques et les systèmes existants.
- Différence : tente de réparer un système dont le dysfonctionnement est structurel.
Anti-technologie
- Diagnostic : la société industrielle détruit la liberté.
- Approche : détruire le système industriel.
- Différence : se concentre sur l’ère industrielle récente sans remonter à l’origine.
Anarcho-primitivisme
- Diagnostic : la civilisation est la cause de l’aliénation humaine.
- Approche : retour à des modes de vie chasseurs-cueilleurs non autoritaires.
- Différence : peut idéaliser le passé ; le Féralisme n’est ni retour ni fuite en avant, mais mutation post-domestique.
Féralisme
- Diagnostic : la domestication du feu comme divergence initiale — seul mouvement identifiant le point d’origine où la trajectoire fut déterminée.
- Approche : construire dès maintenant une infrastructure matérielle complète pour une sortie organisée de l’artificialité.
- Différence : agit dans la réalité matérielle. Comprend pourquoi toute réforme échoue structurellement. Construit l’infrastructure de sortie effective. Pragmatique quant aux exigences de la transformation. Replace la biologie et les besoins fondamentaux au centre.
Notre approche
Notre stratégie combine construction d’alternatives matérielles, légitimation intellectuelle et participation démocratique.
Nous démontrons par les faits qu’une vie moins dépendante de l’artificialité est possible. Nous construisons les savoirs, les réseaux et les infrastructures qui permettront la transition.
Pour connaître notre stratégie détaillée : Stratégie Féraliste →